Carême 1990 : RESSUSCITEZRessusciter"RESSUSCITEZ" Pasteur Yves CRUVELLIER — I —
Un mot qui suscite l’espérance la plus profonde et la plus folle, autant que le sourire moqueur, narquois ou sarcastique ! Un mot pour désigner un événement qui a, depuis toujours, suscité l’adhésion la plus complète ou le rejet le plus total. Des témoins disent : Il est ressuscité ! D’autres, tout aussi convaincus, crient à l’imposture et au blasphème ! D’autres enfin, comme les sages philosophes d’Athènes, reconduisent poliment celui qu’ils ont invité à exposer sa doctrine dès qu’il se met à parler de résurrection (Actes 17). Un mot pour parler du fait que quelques femmes et quelques hommes affirment avoir vu vivant, à Jérusalem, à l’aube du premier jour de la semaine suivant la fête de la Pâque, un certain Jésus, de Nazareth, crucifié pour blasphème trois jours auparavant par un quarteron de pieux notables. Un mot pour parler de l’après-mort — et que nous employons le plus souvent pour signifier qu’après la mort quelque chose ou quelqu’un nous attend. Mais un mot qui nous pose aussi bien des questions : Parlant ainsi, Rubinstein exprimait le doute qui n’est jamais que le revers de la foi, qui dit, elle : "Je crois, nous croyons qu’il y aura la surprise !". Ressusciter : n’est-ce pas notre façon de nommer la surprise ? Mais... Est-il possible de ressusciter ? Comment certains ont-ils pu adhérer à ce témoignage proprement incroyable ? A un élément essentiel, fondateur, de la foi chrétienne : la conviction affirmée de la résurrection de Jésus, la certitude d’avoir revu vivant le dimanche matin le crucifié de vendredi après-midi. Cet événement fondateur est attesté par le témoignage des premiers témoins, qui s’expriment tout de suite sur le sujet : la résurrection de Jésus est immédiatement au cœur de la prédication apostolique : Dieu l’a ressuscité des morts, ce Jésus que vous avez crucifié, dit Pierre à Jérusalem le jour de Pentecôte. Cette affirmation de la résurrection de Jésus est toujours au centre de la foi chrétienne à la fin du XX° siècle, avec toujours cette envie de savoir et toujours aussi cette hostilité affirmée d’un certain nombre de personnes. Jugez-en plutôt : il apparaît aux disciples réunis dans la chambre haute, alors que toutes les portes sont fermées par crainte des Juifs, nous apprend le quatrième évangile (chapitre 20). Le Ressuscité joue les "passe muraille" et il est impossible alors de penser à la résurrection de la chair en termes de viande, si vous me permettez de m’exprimer ainsi. Les choses se compliquent encore avec d’autres rencontres de Jésus ressuscité avec ses amis : par exemple lorsqu’il les retrouve au bord du lac, alors qu’ils sont en train de faire griller quelques poissons... et il partage le pique-nique ! Cela voudrait-il dire alors que le Ressuscité a un corps comme vous et moi, et que, même ressuscité, il est à même d’apprécier les bonnes choses de la vie (Jean, chapitre 21) ? Enfin, parmi bien d’autres exemples, sur le chemin de cette bourgade d’Emmaüs (Luc 24), ces hommes qui ont vu Jésus, l’ont connu, et ne le reconnaissent pas... Je n’ai aucune raison de les croire plus idiots que moi, et je suis sûr de reconnaître dans la rue, si je viens à la croiser trois jours après, une personne avec qui je n’aurais même passé qu’une seule soirée chez des amis ! Et Marie, qui le prend pour le jardinier !... (Jean 20). On ne peut alors que se poser certaines questions qui n’ont pas toujours et ont même rarement de réponse : — Toutes ces femmes et tous ces hommes ont-ils rêvé debout ? Ont-ils été victimes d’une hallucination collective ? On ne peut objectivement éliminer aucune de ces hypothèses et, si je les ai évoquées, ce n’est pas par souci d’être iconoclaste, mais parce que, aujourd’hui comme toujours, certains de nos contemporains se les approprient ! Et à côté de ceux qui haussent les épaules quand vous leur parlez de résurrection des morts, il en est d’autres pour qui les disciples de Jésus restent des rêveurs à l’imagination fertile ou de subtils escrocs qui ont trouvé un filon inépuisable ! Et si nous reprenions, "Bible en mains", les textes des évangiles concernant la résurrection de Jésus ? Vous les trouverez dans les évangiles aux références : Matthieu 28, Marc 16, Luc 24, Jean 20 et 21. Ce qui est étonnant et marquant pour le lecteur non objectif que je suis, Cela veut dire sans doute que parler de résurrection des morts est affaire de conviction plus que de connaissance. Mais, une fois que j’ai dit cela, qu’est-ce que j’ai dit ? Il vaut la peine d’aller plus loin, de tenter d’approfondir le sens de ce verbe : ressusciter, et de comprendre le sens du signe. Dans bien des régions de l’Orient existaient des mythes connus d’un dieu qui meurt et qui renaît : le culte qui leur était rendu était souvent lié au cycle de la nature, qui meurt à l’automne et renaît au printemps. Une autre idée de la vie et de la mort — tellement vivace qu’elle est, encore aujourd’hui, après vingt siècles de christianisme, présente parmi nous — est issue de la philosophie de Platon : pour lui, l’étincelle de vie divine en l’homme qu’il appelle l’âme est prisonnière d’un corps essentiellement mauvais : la mort de Socrate, condamné à boire la ciguë, est significative : il est tout à fait serein, se réjouissant que son âme immortelle se sépare enfin de l’enveloppe mauvaise de la chair pour aller rejoindre les Champs Elysées des dieux. Nous sommes bien loin du combat, de l’agonie de Jésus de Nazareth à Gethsémané, demandant à ce Dieu qu’il appelle son Père de le libérer, si possible, de l’épreuve de la mort. Peut-être êtes-vous frappés comme moi par le fait que ces philosophies orientales et grecques aboutissent à une négation de fait de la mort : que l’homme cherche à escamoter cette réalité qui le terrifie et le fascine n’a rien d’étonnant. Je n’aime pas la mort, et j’imagine que vous êtes sans doute comme moi. Je vois bien que, dans notre civilisation occidentale à la fin du vingtième siècle, on cherche aussi bien souvent à occulter la réalité de la mort. Le Judaïsme a une autre vision des choses de la vie et de la mort. Pour un Juif, la mort, c’est la mort. Définitive et totale. Il n’y a pas, pour un Juif, d’âme immortelle prisonnière d’un corps mauvais. En hébreu, parler d’âme, de corps ou d’esprit, ce sont trois façons de parler de la personne humaine dans sa totalité. Les morts sont morts, un point c’est tout ! Quand on parle de leur état, à l’époque de Jésus, on emploie souvent le terme de sommeil, et le lieu indéterminé où ils se trouvent, le "séjour des morts", n’est ni situé ni décrit. Quant à la notion de résurrection, elle est relativement récente dans le Judaïsme : on la trouve, dans le sens d’une résurrection collective du peuple, chez Ezéchiel, le prophète de l’exil au sixième siècle avant notre ère. C’est bien parce que le Judaïsme ne nie pas la réalité de la mort, ne l’esquive pas, que la Résurrection va apparaître soit comme un scandale, soit comme un signe essentiel. Pour parler de Résurrection, le Nouveau Testament va utiliser deux termes de la langue de tous les jours. — Le premier verbe signifie que l’on relève quelqu’un qui est à terre, ou que l’on réveille quelqu’un qui est endormi ! — Le deuxième verbe signifie le plus souvent se réveiller, sortir du sommeil. On l’emploie également pour exprimer l’idée de dresser, édifier, soulever, et enfin dans le sens de sortir les morts du sommeil, se lever parmi les morts. Bien sûr, dans la plupart des cas, ces deux verbes sont traduits par notre verbe "ressusciter", mais il n’était sans doute pas mauvais de nous rappeler l’origine quotidienne de ces mots. Si l’on devait, dans l’emploi que fait le Nouveau Testament de ces deux termes, distinguer entre eux des nuances de sens, on pourrait dire que le premier de ces verbes insiste plutôt sur l’aspect victoire de la vie sur la mort, et le second sur la résurrection comme un acte de puissance de Dieu, qui fait "remonter" la personne de l’anéantissement total qu’est la mort. Nous avons, en fait, considérablement réduit en français le sens des mots, que ce soit le verbe ou le substantif : ressusciter et résurrection désignent exclusivement soit l’événement unique du retour de Jésus à la vie, soit une réalité qui m’attend — et l’humanité avec moi — après la mort. Les auteurs du Nouveau Testament, eux, emploient des mots courants de la langue de tous les jours pour signifier une réalité éminemment active, savoir que ce qui est mort ne l’est plus, ce qui est à terre est remis debout, ce qui est endormi est réveillé. Cette contestation fondamentale de la mort et ce formidable amour de la vie qu’exprime ce verbe, nous les situons presque exclusivement pour après la mort, pour au-delà de la vie. Mais si telle est bien aussi ma conviction, je crois également que ce verbe, ressusciter, peut avoir un sens dans la réalité quotidienne de nos jours... et je ne suis pas en mauvaise compagnie, puisque c’est aussi, semble-t-il, ce que pense l’apôtre Paul, quand il écrit aux chrétiens de Colosses : "Vous êtes ressuscités !" (Colossiens 2/12). Car il y a, bien sûr, un sens symbolique très fort â ce verbe ressusciter : je vais essayer de m’en expliquer et de vous dire aussi simplement ce que je crois : — N’avez-vous pas la conviction, comme moi, que nombre de nos contemporains, devant les multiples et graves problèmes de notre monde, sont plongés dans un profond sommeil, une espèce de léthargie paralysante ? En face de ces situations diverses, ressusciter, c’est dire à chacun et à tous : Réveillez-vous ! Saisissez la vie, elle est belle ! Soyez et restez debout ! La résurrection n’est rien d’autre que la bonne nouvelle de la victoire de la vie sur toutes les formes de la mort ! Et si la "chair" — nous en parlions tout à l’heure — est une façon de parler de l’être humain dans sa finitude, sa médiocrité, si c’est une façon de parler d’une humanité créée pour la vie et dont la trajectoire a été déviée vers la mort, alors la "résurrection de la chair" peut aussi devenir une expression porteuse de sens et d’espérance. Cette bonne nouvelle pourrait bien être le signe d’une vie nouvelle, semblable à l’aube d’un nouveau jour. Comme moi sans doute, il vous est arrivé de vivre ce moment fabuleux où la nuit devient jour : lentement et inexorablement, la noirceur de la nuit qui noyait tout fait place aux contrastes et à l’apparition des couleurs ; luminosité et éclat des différences... Les bruits de la nuit, feutrés et indistincts, font place à ceux du jour... et tout éclate dans le soleil ! A l’aube du premier jour de la semaine, dit le quatrième évangile dans ce chapitre 20 que nous allons prendre comme trame des cinq prochaines prédications de ce Carême 90. Amen. |